Moussa Mara : « Au Mali, il faut en finir avec les postures ! »
ENTRETIEN. Face à une communauté internationale excédée devant l’immobilisme des autorités sur le processus de paix, l’ancien Premier ministre en appelle à la responsabilité de tous.
Alors que débute la deuxième partie de son quinquennat, le président malien Ibrahim Boubakar Keïta, dit IBK, est sous le feu ouvert des critiques : immobilisme dans le processus de paix dans le Nord-Mali, corruption des pouvoirs publics, mauvaise gestion… Sans gants et publiquement cette semaine, l’ambassadeur américain excédé a demandé aux autorités de Bamako de « mettre fin à tout lien public et privé avec le Gatia (Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés) », qualifié de « milice armée qui ne contribue pas à ramener la paix dans le nord du Mali ». Ces propos faisaient écho à ceux de l’ambassadrice américaine à l’ONU Samantha Power, lors d’une réunion sur le Mali aux Nations unies le 23 septembre, sommant le président malien Ibrahim Boubacar Keïta de se « concentrer sur des actes concrets et visibles ».
Ces propos font référence aux affrontements récents et meurtriers qui ont eu lieu à Kidal, entre le Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia) et les ex-rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). Entre ces groupes, la tension est vive et d’autres combats sont à craindre. Plus encore, ces deux prises de parole illustrent parfaitement ce qui se dit tout bas dans la sphère diplomatique internationale quant à la mise à l’arrêt du processus de paix.
En grande partie chassés à la suite du déclenchement en 2013, à l’initiative de la France, d’une intervention militaire internationale, les groupes djihadistes liés à Al-Qaïda ont mis l’État malien en déroute. Avec des zones entières qui échappent encore au contrôle des forces maliennes et étrangères, malgré la signature de l’accord de paix (Alger 2015) censé isoler définitivement les djihadistes, mais son application accumule les retards. Moussa Mara, ancien Premier ministre est l’un des rares soutiens du camp présidentiel. Le statu quo actuel n’est pas du tout du goût de l’ancien Premier ministre qui compte justement sur un retour à l’ordre pour emporter peut-être la mairie de Bamako. Il en appelle à la communauté internationale pour laisser les autorités maliennes et les pouvoirs publics retrouver leur rôle régalien avant tout.
Le Point Afrique : Rejoignez-vous l’ambassadeur américain Paul Folmsbee qui a dit cette semaine que « Le Mali doit également mettre fin à tous liens à la fois publics et privés avec le Gatia, un groupe qui ne contribue pas à ramener la paix dans le nord du Mali » ?
Moussa Mara : L’ambassadeur Folmsbee a raison quand il souhaite que nous nous engagions dans un processus qui démantèlera tous les groupes armés présents sur le territoire national. Cependant, en désignant le Gatia nommément, il stigmatise un groupe qui, contrairement à beaucoup d’autres, s’est toujours engagé dans la voie de l’intégrité territoriale et de l’unité nationale. Je pense qu’il convient de sortir des postures et de certaines rigidités pour obtenir clairement des autorités maliennes l’exercice du leadership sur le processus et l’engagement ferme à réinstaurer progressivement l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire. Je partage absolument la partie de l’intervention de l’ambassadeur qui met l’accent sur cet aspect de la crise.
Où en est le processus de paix, qui devait peu à peu entrer en vigueur cet été, notamment dans la région de Kidal ?
Le processus marque le pas, cela est indéniable. La tension entre les partis signataires autour de Kidal ne contribue pas à l’avancée des choses. Tout le monde a fait ce constat, il convient maintenant, comme cela a été dit la semaine dernière aux Nations unies, que tout le monde regarde dans le même sens et que les autorités maliennes exercent un réel leadership sur ces questions.
Les combats entre groupes touareg ont paralysé le règlement du conflit au Nord-Mali, où en est le désarmement ?
Le désarmement doit être précédé par au moins deux étapes : la mise en œuvre des patrouilles mixtes dans le cadre du mécanisme opérationnel de coordination (MOC) et ensuite le cantonnement des combattants. Or, c’est seulement la semaine dernière que les groupes armés ont fourni la liste de leurs combattants qui doivent participer aux patrouilles et les sites de cantonnement ne sont pas tous prêts. Donc, cette étape décisive n’est pas encore entamée.
Le Niger a réussi à régler la question touareg, pourquoi le Mali n’y parvient-il pas ?
La situation des deux pays n’est pas vraiment identique. Au Mali, la question du nord de notre pays a été périphérique et traitée comme telle jusqu’en 2012. Cette zone climatique n’est qu’une partie du Mali alors qu’elle représente l’ensemble du Niger. Il faut ajouter aussi qu’il n’y a pas de question touareg au Mali contrairement à ce qu’on dit. Il y a plutôt un mauvais fonctionnement de l’État qui s’est traduit, sur une partie du territoire, par une rébellion armée, dont une des composantes est constituée de Touareg. Vous avez des Touareg dans chacune des régions du pays et de chacun des côtés de la crise. Comme les Arabes ou d’autres ethnies.
Le président IBK est sous le feu des critiques, rejoignez-vous ceux qui le condamnent ?
Diriger un pays en crise n’est jamais une chose aisée, notamment quand on a été élu par une écrasante majorité de la population pour résoudre cette même crise. La frustration actuelle des populations à l’égard du pouvoir est un peu à la mesure de l’énorme espoir suscité par l’élection du président IBK. Il lui reste néanmoins deux ans pour remplir le contrat conclu avec les Maliens. Je pense que c’est possible de réussir.
Le Mali est-il encore un État souverain ?
Absolument, en termes de souveraineté internationale, reconnaissance de la communauté internationale et jouant ses rôles dans le concert des nations. Le pays a encore du mal à exercer l’autorité de l’État sur une partie de son territoire, mais c’est une question de temps.
Il y a un échec patent des autorités ?
Vous êtes trop dur à l’égard des autorités maliennes. Nous avons signé un accord qui a le mérite d’exister et qui pourrait aider le Mali à résoudre certaines de ses difficultés majeures aussi bien en termes institutionnels que de gouvernance ou encore de capacités à sécuriser les Maliens. Le pays tient son rôle au niveau régional et international. Il y a une croissance économique solide depuis quelques années même si la répartition de la richesse n’est pas aussi équitable qu’elle devrait. Le pays continue à conduire des réformes dans de nombreux secteurs. Alors on peut dire « peut mieux faire », mais on ne peut pas dire « n’a rien fait ».
Qui, finalement, est l’ennemi du Mali ?
Le Mali a plusieurs ennemis aujourd’hui. Les premiers sont les « faux amis » et les « faux partisans de la paix ». On les trouve dans les acteurs de la crise, notamment au niveau de certains groupes armés, qui n’ont aucun intérêt à la paix, car vivant des « rentes » de la guerre. Il y a également les « vrais ennemis », ceux qui ne s’en cachent pas. Les bandits qui sèment l’insécurité sur nos villages et campagnes, les terroristes qui veulent déstabiliser l’État et les trafiquants de drogue, dont certaines racines se trouvent parmi les acteurs politiques, des responsables de la société civile et même l’appareil étatique. Contrairement à ce que certains disent, je ne classe pas du tout les acteurs de la communauté internationale parmi les ennemis de notre pays. Je n’ai pas oublié ce qu’elle a fait pour le Mali de 2012 à aujourd’hui. Ne l’oublions pas. Même si nous ne comprenons pas certaines postures de certains acteurs de la communauté internationale, nous devons pouvoir nous entendre par les échanges, les discussions et les franches explications entre amis. J’aurais par exemple souhaité que certains propos très directs de l’ambassadeur des États-Unis soient plutôt tenus dans l’intimité des relations diplomatiques, avec un verre de thé à la menthe à la main, comme on sait bien le faire au Mali.
La grogne sociale est là, qu’est-ce qui explique le ras-le-bol des populations ?
Comme précédemment, on peut parler de grogne, on peut parler de déception ici ou là, mais le terme « ras-le-bol » semble un peu fort. Je l’ai dit, les Maliens ont pensé qu’en élisant IBK, comme un magicien, ce dernier réglerait tous les problèmes en un tour de main. Ils sont donc frustrés face aux difficultés. Il convient donc de rappeler à nos compatriotes que le pays ne peut se sortir des difficultés que si les autorités et les populations travaillent toutes à cela, chacune faisant sa part du boulot. Il est indéniable que la responsabilité première revient au gouvernement, mais il ne peut être seul dans ce combat.
Quelles sont aujourd’hui vos ambitions ? Qu’allez-vous pouvoir faire à la mairie de Bamako ?
Vous avez raison de circonscrire mes ambitions à la maire de Bamako. Espérons que les élections soient bientôt organisées. En tant qu’ancien maire, ministre de la Ville, simplement en tant que bamakois, je désespère de voir une si belle ville non gérée, sans lien entre les Bamakois et les élus, avec une perte d’opportunités nombreuses. Je souhaite faire de cette ville un espace de socialisation et de collaboration durable entre les populations et leurs représentants dans le cadre d’un vrai partenariat qui conditionne toute autre action. Je veux faire des Bamakois des acteurs de leur propre existence et travailler avec eux pour améliorer l’économie locale et le cadre de vie de chacun. Nous allons équiper la ville, notamment en termes d’embellissement de la ville, d’accroissement de la mobilité urbaine et de mise à disposition d’espaces de convergences humaines et sociales. Nous allons donner à chaque Bamakois l’occasion de participer à la gestion de la ville et d’exprimer ce qu’il souhaite faire ou avoir pour améliorer son existence. Nous allons faire de cette ville, le point d’intersection des Maliens vivant au Mali, mais aussi ceux qui sont à l’extérieur. Pour l’instant, c’est mon ambition. En politique, j’ai appris à mettre un pied devant l’autre. À chaque jour suffit sa peine.
Êtes-vous encore membre de la coalition présidentielle ? Beaucoup sont partis…
Je suis plus que jamais membre de la majorité présidentielle, surtout en ces moments de difficulté. Notre appartenance à la majorité, c’est d’abord le sens de la parole donnée et la volonté d’aider le président à réussir son mandat. Ce n’est ni conjoncturel, ni lié à des promesses de postes ou autre. Le chef de l’État a encore deux ans de responsabilité, nous allons l’aider du mieux que nous pouvons pour qu’il les réussisse. Il en va de l’intérêt du Mali et des Maliens.
Source: Afrique.lepoint