PARIS: un député interpelle le gouvernement sur la mort d’Adama Traoré
« La lutte contre l’impunité doit concerner tout le monde » : un député interpelle le gouvernement sur la mort d’Adama Traoré
Lors des questions au gouvernement, Pouria Amirshahi a interrogé le gouvernement sur la mort de ce jeune homme lors de son interpellation en juillet.
L’affaire Adama Traoré s’invite dans l’hémicycle. Le député des Français de l’étranger, Pouria Amirshahi, a interpellé Manuel Valls sur la mort de ce jeune homme, décédé lors de son interpellation. « Monsieur le Premier ministre, quelqu’un de votre gouvernement a-t-il adressé un message à la famille de notre jeune compatriote décédé ? » a-t-il questionné.
Pouria Amirshahi a également demandé que la lumière soit faite sur les circonstances de ce drame, survenu dans la cour de la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise), en juillet 2016. « La lutte contre l’impunité doit concerner tout le monde, y compris ceux qui sont dépositaires d’une parcelle de pouvoir et d’autorité », a-t-il rappelé.
« A chaque fois, l’inspection générale est saisie »
Mais il n’a pas eu de réponse. A la tribune, Bernard Cazeneuve a salué le travail des forces de l’ordre, sans prononcer le nom d’Adama Traoré. « Ce que je ne peux plus accepter, c’est la mise en cause permanente, à longueur de semaines, du travail fait par les forces de l’ordre », a-t-il lancé, sous les applaudissements. Et d’assurer : « A chaque fois qu’il y a des sujets du type de ceux que vous évoquez, l’inspection générale est saisie. » Une information judiciaire a en effet été ouverte au lendemain de la mort d’Adama Traoré.
Piqure de rappel: le 19 juillet dernier, Adame Traoré succombait, quelques minutes après son interpellation, alors qu’il était dans les locaux de la gendarmerie de Persan-Beaumont. Depuis, chaque semaine apporte son lot de rebondissements dans ce qui s’avère être une affaire éminemment complexe. Tant au regard des faits en eux-même, que de la communication qui s’en est suivie.
Les faits
Il est 17h15, lorsque le PSIG décide de contrôler deux individus, dont l’un est recherché, il s’agit du frère d’Adama Traoré, Bagui. A la vue des gendarmes, c’est pourtant Adama qui va prendre la fuite. Il sera rattrapé plus tard, mais un homme se dirige vers le gendarme qui l’escorte au véhicule. Vraisemblablement, Adama Traoré profite de la bousculade pour s’enfuir à nouveau. Un second équipage du PSIG arrive, et le retrouve caché dans un domicile. Ils procèdent à son interpellation, après avoir « … employé la force strictement nécessaire pour le maîtriser mais il a pris le poids de notre corps à tous les trois au moment de son interpellation », selon les gendarmes du PSIG, cités dans cet article du parisien, intitulé « Les dernières minutes d’Adama Traoré »
Devant le décès non expliqué d’Adama Traoré, une autopsie est pratiquée, à l’Institut Médico-Légal de Garches, à la demande du parquet de Pontoise. Le praticien conclue, selon la communication faite par le parquet, à un syndrome d’asphyxie, évoquant également des « lésions de nature infectieuse ». La famille d’Adama Traoré, par le biais de ses avocats, demande une seconde autopsie. Celle-ci est, naturellement, autorisée. Et c’est l’Institut Médico-Légal de Paris qui en sera chargée Le second médecin lui, s’il parle également de ce syndrome d’asphyxie ne fera pas état de l’infection.
Les deux rapports, selon la communication faite par le procureur de la République de Pontoise, convergent vers une absence de traces de violences pouvant conduire au décès. Pour autant, une troisième autopsie aurait été demandée, mais refusée.
Motif invoqué par la famille: la cause précise du décès n’est toujours pas connue, et les deux rapports sembleraient ne pas dire la même chose, notamment pour ce qui concerne une infection touchant plusieurs organes.
Pour autant, les proches, accusant tout d’abord de coups portés sur Adama Traoré pencheraient désormais pour une compression thoracique. De nombreuse analyses toxicologiques sont à ce jour en cours. En l’attente des résultats complets, l’occasion nous est donnée d’en savoir un peu plus sur ce qu’est une autopsie. Pour ce faire, j’ai fait appel à un médecin légiste, en la personne du « Doc », médecin, que l’on peut croiser sur les réseaux sociaux. Étant précisé que nous ne disposons, lui comme moi, que des informations à ce jour parues dans la presse, et qu’il s’agit, là, d’évoquer les différentes possibilités que l’on peut entrevoir, susceptibles d’expliquer les causes du décès d’Adama Traoré. Il ne s’agit aucunement d’un biais d’enquête.
Commençons par le début; comment, juridiquement, fonctionne une autopsie, pour un praticien?
L’autopsie médico-légale est effectuée sur réquisition judiciaire, soit d’un OPJ (Officier de Police Judiciaire), soit d’un représentant du parquet. Elle est effectuée par un ou deux praticiens, et ne peut être refusée par la famille, contrairement à une autopsie scientifique pour recherche des causes de la mort. Ces médecins sont des auxiliaires de justice, ils ne travaillent ni pour la Police, ni pour le Tribunal, et sont nommés ponctuellement pour remplir une mission donnée et précise. Les légistes français n’ont en fait pas grand chose à voir avec les héros des « Experts », ce sont des médecins indépendants qui ont pour la plupart d’autres activités médicales.
Pour être très général, une autopsie peut-elle, systématiquement, établir les causes de la mort ?
Malheureusement non, et ce malgré les progrès scientifiques. Il existe en effet des cas où il est impossible de connaître l’élément causal qui a mené à la mort, même si les signes de la mort sont facilement décelables.
Les premières hypothèses relayées par la presse faisaient état de coups qu’auraient porté les gendarmes. Comment cela se serait-il traduit, lors d’une autopsie?
Les coups peuvent entraîner des lésions qui peuvent être superficielles ou profondes. On distingue surtout les ecchymoses et les hématomes.
– L’ecchymose est liée au passage de sang au sein des tissus par rupture des capillaires (petits vaisseaux) ; c’est ce que l’on appelle communément « le bleu ». Elle peut être visible à la surface de la peau, ou lors de l’autopsie.
– L’hématome est en rapport avec un traumatisme plus important, par rupture de vaisseaux plus gros, c’est une collection de sang qui se forme dans une cavité crée par l’écoulement, on dit « néo-formé ».
Ces lésions ne sont pas exclusivement d’origine traumatiques et peuvent résulter de maladies.
Restons un instant sur les violences physiques, en tant que telles; Tous les coups qui auraient pu être portés auraient-ils été visibles lors d’une autopsie?
Je répondrais oui, au moins lors de l’autopsie et de l’examen interne, ainsi qu’au niveau des zones de prises, où des incisions systématiques sont pratiquées en cas de doute.
Dans les premiers jours de cette affaire, l’un des frères d’Adama Traoré évoquait, comme le rappelle cet article du Figaro « des coups portés à la tête »; tout comme il était question d’une chemise de gendarme qui aurait été en sang; ces deux déclarations pouvant dès lors être rapprochées, puisqu’il s’agit de sous-entendre qu’il s’agissait du sang de son frère. Un saignement, quel qu’il soit, est-il visible, lors de l’autopsie?
Il est difficile de répondre à cette question sans nuancer. Si le sang retrouvé n’était pas celui d’un des membres des forces de l’ordre, alors il faut rechercher une plaie. Celle ci peut se trouver n’importe où, mais vu les circonstances, il est plus logique de rechercher en premier lieu une hémorragie au niveau du nez, du cuir chevelu, ou de la langue (morsure par exemple). Dans ces cas, à l’autopsie, ces saignements peuvent se voir.
Dans l’un des deux rapports, il est question d’un » ensemble de lésions compatibles avec une cardo-myopathie hypertrophique »; qu’est-ce que cela signifie?
Une cardiomyopathie est au sens étymologique une « maladie du myocarde » (le myocarde étant le muscle cardiaque). Une hypertrophie est un développement trop important d’une partie du corps, d’un organe ou d’un tissu.
Une cardiomyopathie hypertrophique (CMH) est une maladie de la structure des cellules cardiaques. Le muscle s’épaissit, les cellules cardiaques sont anormales, le cœur a plus de difficultés à effectuer sa fonction de pompe. Celle maladie est génétique, et se développe le plus souvent vers l’adolescence et au début de l’âge adulte. C’est la première cause de mort subite de l’adulte de moins de 40 ans, surtout si l’épaisseur du muscle cardiaque est importante et/ou qu’il existe une arythmie.
La mort peut survenir par trouble du rythme, puis par insuffisance cardiaque aigue. Ce risque de mort subite est majoré lors du sport (36% des morts subites du sportif de moins de 35 ans) et du stress aigu.
D’une manière générale, les deux rapports évoquent donc une absence de lésions, mais concluent à une asphyxie. D’une manière générale, qu’est-ce que cela signifie?
L’asphyxie est un terme général qui signifie l’arrêt de l’oxygénation du sang. Ce terme, ainsi que les signes que l’on peut mettre en évidence ne préjugent donc pas de la cause de la mort.
A l’autopsie, cela se traduit par une congestion des poumons, du foie, des reins, qui pèsent plus lourd que la normale. Les poumons subissent aussi des modifications plus marquées (taches violacées dites de Tardieu). Il peut aussi y avoir un oedeme cérébral.
On pourra donc retrouver des signes généraux d’asphyxie, que celle ci soit du à une pendaison, une strangulation, ou une cause non traumatique (embolie pulmonaire par exemple) … ce sont les autres signes retrouvés lors de l’autopsie qui prendront toute leur importance pour attribuer éventuellement l’asphyxie à une cause précise.
De ma propre expérience, pour avoir assisté à des autopsies, il me semble qu’une asphyxie causée par un tiers se différencie d’une asphyxie liée à une maladie ?
C’est justement le but de l’autopsie, retrouver des signes de violences, de l’action d’un tiers, de noyade, d’inhalation (fausse route, corps étrangers), de compression thoracique, ou d’exposition à des gaz asphyxiants. Et de façon corollaire, éliminer la présence de signes de maladie.
Dans une tribune signée par Dominique Sopo, Président de SOS racisme, ce dernier pose la question de savoir si, sans cette intervention, Adama Traoré serait décédé? Une autopsie peut-elle permettre de répondre à cette question?
Il n’est pas possible de répondre scientifiquement à cette question. On ne peut que conjecturer. Par exemple, si l’hypothèse d’une mort liée à une cardiomyopathie hypertrophique constitutionnelle (CMH) était retenue, et que le stress de l’arrestation a été un facteur déclencheur, alors tout stress intense aurait pu entrainer les mêmes effets. On peut aussi émettre des hypothèses inverses. La science médico-légale n’est pas encore divinatoire.
il y a une nuance entre ce qu’aurait dit le procureur, à savoir « une infection très grave touchant plusieurs organes » et ce qui apparaîtrait dans le rapport, à savoir des « lésions d’allure infectieuse » sur deux organes. Quelle différence entre ces deux notions?
Vraisemblablement une différence de communication. On ne peut confondre de telles notions médicales. Il serait hasardeux de s’avancer plus.
Lors d’une autopsie, le médecin légiste procède à plusieurs prélèvements; que peuvent apporter les résultats des examens de ces prélèvements, dans cette affaire?
Les prélèvements sont indispensables, en particulier lors des autopsies durant lesquelles on ne retrouve pas de signes formels expliquant la mort.
Les légistes effectuent tout d’abord des prélèvements de liquides biologiques (sang, urine, bile, contenu gastrique) afin de rechercher d’éventuels toxiques qui pourraient expliquer la mort, ou à tout le moins, l’avoir favorisé. Ces prélèvements permettent aussi de dater éventuellement la prise de toxique, et leur régularité (les cheveux peuvent aussi être utiles).
Des prélèvements avec analyse histologique peuvent aussi être effectués sur des organes ou fragments d’organes, pour des études plus complexes (faisceau de conduction, artères coronaires, etc.) ce qui, en l’espèce, serait utile, compte tenu de la notion de CMH.
On le voit, cette affaire créé énormément de crispations. A la fois, autour de l’intervention des gendarmes en elle-même, mais aussi autour de la communication du parquet local. Plusieurs associations se sont, depuis mêlées à cette affaire, dénonçant également l’attitude d’enquêteurs intervenus par la suite. Une gendarme a d’ailleurs, récemment, déposé plainte, à la fois contre X pour dénonciation calomnieuse, mais contre le site d’information Médiapart pour diffamation.
Espérons que l’instruction actuellement en cours permettra d’apporter les réponses qui, au moins depuis l’extérieur, à notre niveau, apparaissent manquantes.
sOURCE: Franceinfo